30.10.10

Mon blogue d'auteur

Ce blogue sert exclusivement aux nouvelles concernant L'Aqulion, mais j'ai créé un blogue d'auteur où j'écris les nouvelles concernant les salons, mes nouveaux romans, mes nouvelles, etc.

Venez faire un tour, vous êtes les bienvenus !

http://carlrocheleau.blogspot.com

9.10.10

Nouvelle inédite de L'Aquilon

Bonjour tout le monde !
J'en ai beaucoup parlé et il est temps de passer à l'action. Je vous présente donc, en exclusivité la 13e chambre de l'Aquilon, la nouvelle qui n'a pas fait le recueil. Même le premier des lecteurs des Six Brumes n'a pas lu ce texte parce que je l'avais retiré avant.
Ne craignez rien, il n'est pas mauvais, c'est tout simplement qu'il ne cadrait pas avec la thématique plus sérieuse du recueil. Le ton est beaucoup plus relâché et moqueur. Le personnage fait référence à un temps pré-verglas et confronte certaines incohérences avec les locataires dont je ne voulais pas débattre. En lisant, vous verrez à quel point il ne cadre pas avec le recueil. Cette nouvelle a été remplacé par « Retour à la réalité ». Ce personnage vivait à l'époque dans la chambre 4.
Pour ceux qui n'ont pas lu L'Aquilon, s'il vous plaît, ne considérez pas ce texte comme un aperçu de mon livre. Ce n'est pas pour rien que je l'ai remplacé... Mais la lecture devrait vous distraire.

On se revoit à Sherbrooke,

Carl

Chambre 4 – Oz

L’inspecteur chargé du meurtre de la chambre 2 a terminé l’interrogatoire du pensionnaire du studio numéro 3. Il se présente à l’appartement suivant dont la poignée est surmontée de trois serrures dorées. Un homme très gras aux yeux cernés entrouvre la porte sans enlever les trois chaînes de sécurité qui la restreignent.
- Avez-vous remarqué quoi que ce soit au courant de la nuit dernière ? interroge l’agent.
Le locataire secoue la tête. Rien entendu.
- Y a-t-il quelqu’un qui puisse prouver que vous étiez dans votre appartement entre dix heures et une heure cette nuit ?
Négatif.
- Je ne sors jamais, croit-il bon d’ajouter.
Le policier, piètre humoriste, est frappé d’un éclair de génie.
- Vous n’êtes jamais sorti ?
- Oui, trois fois, mais je ne recommencerai plus.
Le locataire frissonne, comme si le souvenir de son aventure lui revenait. Son double menton en frétille. L’inspecteur lui remet une carte en précisant qu’il peut le rejoindre n’importe quand si quelque chose lui revient.
La petite Summer, qui était dans l’ombre de l’agent depuis le début de la conversation, fixe le locataire. Le policier est parti, mais le gros homme est incapable de fermer la porte. Le regard de cette enfant qu’il n’avait jamais vue le fige.
- Raconte-moi, demande-t-elle.
Impossible de refuser. Il a l’impression d’être hypnotisé. Il s’assoit par terre, de son côté de la porte, et la petite fille fait comme lui de l’autre côté.
- Il faut que tu saches que ça s’est passé voilà longtemps. L’été avant que le grand froid frappe la cité.
* * *
C’était une belle journée. Je jouais à Rainbow Six et j’étais sur le point de commencer la cinquième mission. J’allais me prendre un coke diète lorsque je réalisai qu’il n’y en avait plus.
J’avais épuisé ma réserve hebdomadaire et le livreur ne passait pas avant le lendemain. Devant mon réfrigérateur vide, je me sentais comme un bébé sans les seins de sa mère. À ce moment-là, j’aurais fait n’importe quoi pour une canette. Même tiède ! Ça sonne bizarre parce qu’aujourd’hui le monde rêve de boissons tièdes, mais dans le temps, il n’y avait rien de meilleur qu’une liqueur froide. On disait rafraîchissante.
Comme les fumeurs qui sortent sans manteau à moins quarante pour un paquet de cigarettes, j’étais moi aussi prêt à aller au dépanneur pour m’acheter du coke diète. Sur moi, j’apportais mes clés et une carte de crédit. J’avais enfilé mes bermudas fleuris ainsi que mes pantoufles en phentex. Je voyais le corridor pour la troisième fois de ma vie. Le tapis aux motifs jaunes et bruns menait droit vers l’extérieur. Face à ma chambre, sur le mur, un enfant avait dessiné un arc-en-ciel au crayon de cire.
Déjà, l’air ambiant me picotait la gorge. Je m’imaginais les bactéries multicolores descendant de l’arc-en-ciel pour m’empoisonner. De toutes petites bestioles flottaient dans la lumière. Elles m’attendaient, voulaient que je les aspire. Elles dansaient autour de moi. J’essayais de les surveiller, de m’assurer qu’elles n’entrent pas dans ma bouche. Je les suivais des yeux, tournant sur moi-même à m’en étourdir.
L’arc-en-ciel entra dans la danse, m’enroulant à mesure que je respirais les spores colorées. Il était devenu un serpent rayé sur le long. Il m’enroulait pour mieux m’étouffer. Pour que je perde le souffle. Ce qui arriva. Je tombai inconscient.

Je fus réveillé par le murmure d’une foule. Le groupe en question était constitué de nains aux voix de schtroumpfs. Quand ils virent que je respirais, ils se mirent à chanter en faisant une ronde autour de moi.
La Sorcière de l’Est est morte, elle est morte, elle est morte.
La Sorcière de l’Est est morte et c’est grâce à toi !
Une fée apparut. Elle me regarda en souriant.
- Vous êtes un sorcier ?
- Certainement, mentis-je avec une assurance qui me surprit.
- Les Munchkins en étaient sûrs.
Bien content de leur avoir donné raison, je me demandais malgré tout pourquoi on pensait que j’étais un magicien. La fée m’épargna le travail :
- Vous avez tué la méchante Sorcière de l’Est, précisa-t-elle en pointant mon derrière.
Suivant le guide, je réalisai que, effectivement, j’avais le cul sur le visage d’une vieille femme. Les nains, comme s’ils avaient attendu le signal, entonnèrent leur chanson :
La Sorcière de l’Est est morte, elle est morte, elle est morte.
La Sorcière de l’Est est morte et c’est grâce à toi !
Pendant ce temps-là, je regardais autour de moi pour voir où j’étais. Il me semblait que l’Aquilon n’avait pas changé, sinon que l’arc-en-ciel sortait du mur à la manière d’une rampe pour handicapés et bloquait ma porte. Impossible de rentrer. C’était de cette rampe qu’arrivaient, par vagues, les troupes de nains chantants. Leur chanson fut d’ailleurs interrompue par l’apparition d’une autre vieille au chapeau pointu. « C’est la méchante Sorcière de l’Ouest ! » s’écrièrent les nains avant de se cacher sous l’arc-en-ciel. La grand-mère, peau verte et pustules grasses, s’adressa à moi.
- Tu as tué ma sœur, la…
- … méchante Sorcière de l’Est, complétai-je. Ça fait dix minutes que tout le monde le chante, j’ai compris le concept.
Je ne savais pas d’où me venait cette arrogance, mais je l’appréciais.
- Rends-moi les souliers ! ordonna-t-elle en fixant mes pieds.
Je remarquai alors que je ne portais plus mes belles pantoufles, mais bien une paire de souliers en cuirette rouge. J’allais les lui rendre quand la première fée m’interrompit. Selon elle, je devais les garder; ils devaient être spéciaux pour que la méchante sorcière les veuille tant. C’est vrai qu’elle s’intéressait plus aux souliers qu’au cadavre encastré dans mon cul. La méchante sorcière n’insista pas et s’évapora dans un nuage de fumée.
La scène était amusante, mais je commençais à étouffer avec tout ce monde et ma soif restait insatisfaite. Je me levai sans regarder le visage de ma victime et je quittai le groupe étrange qui m’avait accueilli dans ce drôle de monde. La bonne fée me rappela que je n’avais qu’à suivre le chemin de briques jaunes. Selon elle, il me conduirait vers le dépanneur où je trouverais Oz qui saurait peut-être me dire comment retourner chez moi en plus de me vendre un coke.
Déjà, j’arrivais devant la chambre numéro 3. Devant celle-ci, planté comme un blé d’inde, le voisin végétait. Il portait un vieux chapeau de paille, un jean des années quarante et une chemise à carreaux mangée par les mites. Il n’avait pas l’air dans son assiette. Alors, dans un élan de sympathie que je ne me connaissais pas, je lui demandai s’il allait bien.
- Oui, c’est juste que je suis con. Tellement con. Des fois, j’ai l’impression de pas avoir de cerveau.
L’idée me vint alors de me promener avec un légume que je pourrais ridiculiser sans qu’il réplique. Si Oz pouvait régler mon problème, peut-être qu’il saurait quoi faire d’un handicapé mental ? Je lui proposai donc de me suivre. Il supposa lui-même qu’Oz lui donnerait un cerveau et s’empressa d’accepter mon offre.
Nous nous mîmes à gambader sur le chemin de briques jaunes.
Bientôt, nous étions devant le studio numéro 2. Le locataire de l’appartement, dans une position très inconfortable – celle d’un prisonnier qui a échappé son savon –, semblait figé sur place. Sur sa froc de cuir coupée aux épaules, des milliers de clous métalliques reflétaient la lumière des néons. Grâce à une compassion qui me venait de nulle part, je voulus connaître son problème.
Il essayait de parler, de dire un mot, un petit mot que nous ne comprenions pas. X ? Ixe ? Mon nouvel ami tenta une réponse à son tour : « Fix ? » Le bruit que fit l’homme de fer confirma l’hypothèse. Par terre, tout près de lui, il y avait une seringue. Je m’empressai de lui injecter la drogue dans toutes ses articulations jusqu’à ce que, dans un grincement, il réussisse à bouger convenablement.
Il put enfin nous expliquer que son sevrage de drogue avait été trop long et que, lorsqu’il avait enfin eu l’occasion de se piquer, il était trop tard et que son corps s’était figé. L’homme de fer voulait nous remercier, mais il ne savait pas comment.
- Mes parents disent toujours que j’ai pas de cœur, c’est sûrement vrai.
Je comprenais très bien sa dépendance, car je pouvais la comparer à la mienne, et l’idée de marcher en compagnie d’un drogué sans cœur m’inspirait. Je lui proposai de venir avec nous rencontrer Oz. S’il pouvait m’aider à rentrer chez moi et donner un cerveau au voisin, peut-être qu’il pourrait lui trouver un cœur. Il accepta sans joie.
Nous reprîmes le chemin de briques jaunes en chantant du Judy Garland.
Bien vite, nous fûmes devant l’appartement numéro 1. Prenant tout le corridor, un grand roux, velu et barbu, tendait les poings vers nous, prêt à se battre. J’allais lui donner mon légume en guise de sacrifice quand il se lanca sur nous. Je compris rapidement qu’il voulait nous faire peur, mais qu’il ne frapperait pas. Je lui criai d’arrêter. Il se mit aussitôt à pleurer.
Une empathie féminine me saisit alors et je voulus connaître la raison de sa tristesse. Il nous expliqua que, malgré sa taille, il était un peureux. Il croyait que nous effrayer lui donnerait un peu de courage, mais rien n’y faisait. La solution était répétitive, mais je l’invitai à nous suivre. Puisque Oz m’aiderait à revenir chez moi, qu’il trouverait un cerveau et un cœur à nos voisins, peut-être qu’il aurait aussi un peu de courage pour lui.
À quatre, main dans la main, nous sautillâmes le long du chemin de briques jaunes.

Quelques minutes plus tard, nous arrivâmes au bout du chemin, devant le Emerald’s Drugstore. Derrière son comptoir de bouteilles de Heinekein, Oz me réservait un accueil à la hauteur du sorcier que j’étais. Nous lui fîmes chacun notre demande et il répondit qu’il exaucerait nos vœux à une condition :
- Vous devez tuer la méchante Sorcière de l’Ouest ! proclama-t-il.
Je tentai de lui faire comprendre que la vieille devait en avoir pour cinq ans maximum et que ça ne changerait rien qu’on l’achève aujourd’hui, mais Oz insistait :
- Come on, elle est juste sur le trottoir, devant la vitrine. Deux trois coups pis c’est fini.
En héros que nous étions, nous allâmes battre la sorcière qui, finalement, ressemblait plus à une quêteuse qu’à autre chose. Les nains, sortis de nulle part, firent une ronde autour de nous en chantant :
La Sorcière de l’Ouest est morte, elle est morte, elle est morte.
La Sorcière de l’Ouest est morte et c’est grâce à vous !
Oz, grand commis du Emerald’s Drugstore, répondit à nos demandes. Il commença par la mienne.
- Les souliers de cuirette que tu portes, ceux de la méchante Sorcière de l’Est, sont magiques. Depuis tout ce temps, tu n’avais qu’à cogner trois fois les talons l’un contre l’autre pour regagner ta maison.
Aussitôt dit, aussitôt fait.
J’ai frappé mes talons ensemble. Trois fois, comme prescrit.

J’étais étendu dans le corridor. Une flaque de bave collait ma joue au tapis jaune et brun. Les nains étaient partis, mes pantoufles en phentex revenues et l’arc-en-ciel, bien à plat sur le mur, avait retrouvé un aspect cireux qui me réconfortait.
Je rentrai dans mon appartement et je barrai la porte.
J’abandonnai coke et restai douze heures sans en boire.
Je ne sais pas comment Oz a réglé les problèmes de mes voisins.
Je ne suis plus jamais sorti de chez moi.
* * *
- La vie en dehors de chez moi est vraiment trop bizarre.
Sans attendre la réaction de la petite fille face à une telle conclusion, le locataire de la chambre 4 referme la porte et verrouille les trois serrures de sécurité.